PATAÑJALI LE GRAMMAIRIEN

PATAÑJALI LE GRAMMAIRIEN
PATAÑJALI LE GRAMMAIRIEN

Le nom de Patañjali est attaché à une œuvre majeure de la littérature grammaticale sanskrite, le Mah bh ルya , qui, vraisemblablement du IIe siècle avant J.-C., est un commentaire sur la célèbre grammaire de P ユini. Rédigé sous forme de dialogue, cet ouvrage va beaucoup plus loin que le texte qu’il veut expliquer et, dans de longs excursus, analyse avec profondeur des concepts linguistiques généraux. Il se signale par l’art consommé du débat qui conduit à la mise en lumière d’un concept, à une interprétation raisonnée, etc. La rigueur de la logique, la puissance du raisonnement, le caractère lucide du style ont fait de l’étude de ce livre une épreuve d’intelligence pour les lettrés indiens qui de tout temps ont été grands amateurs d’exercices intellectuels difficiles. Son succès se mesure au nombre élevé des commentaires dont il a été l’objet, à son influence déterminante sur tout le reste de la littérature grammaticale, mais aussi au fait que tout ce qui est sorti de lui représente le plus haut niveau de l’activité intellectuelle dans l’Inde.

Date et origine

Patañjali ne nous est pas plus connu que son illustre prédécesseur P ユini. Son nom est attaché à trois ouvrages fondamentaux de la culture sanskrite, dans les domaines respectifs de la grammaire, du yoga [cf. YOGA] et de la médecine. Il y a assez de différences de nature et de style entre ces trois ouvrages pour que l’on juge vraisemblable de distinguer trois auteurs homonymes. En fait, l’on n’a aucune preuve directe qui établisse cela avec certitude. Et une vieille tradition indienne reconnaît un seul Patañjali, qu’elle a mythifié en une figure mi-homme mi-serpent (n ga ), dévot du dieu えiva. S’il s’agit de trois auteurs, on ne peut situer aucun des trois dans le temps et l’espace, ni même les classer chronologiquement. Patañjali grammairien donne des exemples de présent dans son ouvrage. S’il ne cite pas des exemples consacrés dans les écoles sanskrites, l’on peut en conclure qu’il mentionne des événements qui lui sont contemporains. Il mentionne ainsi le roi Pu ルyamitra, qui a régné sur l’Inde du Nord vers 150 avant J.-C. D’autre part, il décrit l’aire linguistique du bon usage du sanskrit comme étant l’ ry varta, dénomination difficile à interpréter avec précision, mais qui englobe uniquement des régions du nord de l’Inde, au nord des monts Vindhya. L’œuvre grammaticale placée sous le nom de Patañjali a donc été composée dans ces contrées, au plus tôt au IIe siècle avant J.-C.

Le «Mah size=5bh size=5 size=5ルya» et sa place dans la littérature grammaticale pâninéenne

Patañjali n’est pas le premier commentateur de P ユini. Le caractère concis et algébrique du manuel de ce dernier rendait nécessaire un apprentissage de son utilisation. Des gloses, des méthodes d’interprétation ont dû très tôt être composées dans les écoles. Le premier commentaire qui nous soit connu est celui de K ty yana, que l’on situe au IIIe siècle avant J.-C. Il est fait de cinq mille formules environ appelées v rttika et qui visent à corriger des formules pâninéennes reconnues déficientes dans leur forme ou dans leur application, à discuter les principes linguistiques sur lesquels elles reposent, surtout à compléter la description pâninéenne de la langue.

L’ouvrage de Patañjali est un commentaire sur les deux séries de formules. Son but principal est critique; il veut en particulier examiner si la critique et les corrections de K ty yana sont valides, la formule pâninéenne étant souvent réhabilitée. La forme est celle du dialogue. Le terme de bh ルya (littéralement, «discours») renvoie sans doute à cette forme. Et l’ouvrage est couramment appelé Mah -bh ルya (Grand Dialogue), l’épithète de «Grand» répondant aux dimensions imposantes de l’ouvrage (1 500 pages environ) et surtout à son autorité dans la tradition indienne. Cette forme développée a permis à l’auteur de montrer toute sa pensée, d’exposer la démarche raisonnée qu’il a suivie pour arriver à ses prises de position. Alors qu’avec ses prédécesseurs on a seulement des formules algébriques et que le travail d’analyse, d’enquête scientifique est dissimulé, seulement impliqué par l’énoncé des résultats, on a avec Patañjali une véritable somme de recherches linguistiques.

Le contenu du «Mah size=5bh size=5 size=5ルya»

L’introduction, appelée «Paspa ご », est un morceau célèbre. Elle définit le sujet de la grammaire, à savoir les mots du veda et de l’usage courant, définit la notion de parole, sons qui procurent la connaissance d’objets, la forme sonore étant ce dont traite directement la grammaire. Elle expose les buts de la grammaire: conservation des veda en premier; correction dans l’exécution du rituel, qui n’est efficace que si la forme des mots utilisés est respectée; compréhension exacte du sens, une bonne connaissance de la grammaire permettant seule de résoudre des ambiguïtés, etc. Il est affirmé que c’est un devoir pour le brahmane d’apprendre la grammaire, la classe des brahmanes se définissant plus par sa fonction intellectuelle que par sa fonction religieuse. Il est montré que la grammaire est le seul moyen économique d’acquérir la connaissance de la langue correcte. Le nombre des mots, de leurs formes, de leurs combinaisons syntaxiques est trop élevé pour que l’on puisse les apprendre individuellement par expérience et mémorisation. La grammaire, en revanche, offre des règles communes à des classes entières de formes. La méthode de la grammaire est clairement présentée: règles générales entravées par des règles particulières, etc. L’autorité de la règle est discutée. Le grammairien, en principe, ne crée pas le langage, qui est considéré comme existant déjà. «Le mot, le sens et leur relation sont éternels..., dit Patañjali, parce que dans le monde on emploie les mots alors qu’on connaît déjà tous les sens, mais on ne fait pas d’effort pour en créer, tandis que, pour les objets qui sont produits, l’on fait effort pour en créer. Par exemple, celui qui va faire quelque chose avec un pot va chez un potier et lui dit: «Fais-moi un pot, je vais faire telle chose avec.» Mais celui qui va employer des mots ne va pas chez un grammairien lui dire: «Fais-moi des mots, je vais les employer.» Simplement, il emploie les mots, en connaissant déjà tous les sens.» Le grammairien décrit donc un donné. Patañjali s’est alors demandé si les règles pâninéennes qui défiúnissent une compétence d’une forme à l’emploi, non un ensemble fini d’attestations, ne risquent pas de produire de nouveaux mots. En fait, Patañjali accorde une extrême confiance à P ユini. Cette confiance sera entretenue dans toute la tradition indienne et à partir du jour où le sanskrit cessera d’être vivant, l’usage ne freinant plus l’application des règles, le produit des règles de P ユini deviendra la norme.

Revenant aux buts de la grammaire, Patañjali affirme qu’il y a un mérite à bien parler en connaissant la grammaire, et que la parole purifiée par cette connaissance procure le svarga , c’est-à-dire une récompense dans l’au-delà. Il inaugure ainsi une longue histoire de spéculations sur la valeur sotériologique de la parole.

Le corps du Mah bh ルya est l’examen critique des règles de P ユini et des adjonctions de K ty yana. Patañjali examine 1713 s tra seulement. Le commentaire type est le suivant: un premier interlocuteur met en question l’utilité d’un mot dans une formule ou montre des défauts d’application d’une règle comprise d’une certaine façon. Une réponse lui est donnée qui n’est pas nécessairement finale. Les interlocuteurs sont nombreux. Et l’on voit diverses thèses s’affronter. Le plus souvent les défauts observés dans l’application d’une règle sont éliminés par une réinterprétation de la règle. Les procédés d’interprétation sont multiples, souvent périlleux, mais toujours parfaitement logiques. L’exégèse dans ce cas n’est pas la recherche de la conscience de l’auteur, mais l’adaptation à des données auxquelles l’auteur pouvait n’avoir pas pensé. Fréquemment, le débat s’étend à l’examen de questions plus générales. On remet en cause un concept linguistique; on l’éclaircit et, une fois arrivé à une vue plus profonde, on réinterprète la règle.

Un autre intérêt du Mah bh ルya est que, dans les nombreux exemples qu’il donne de formations grammaticales, il nous fait connaître beaucoup de realia de son temps. La langue qu’il cite est à peu près la même que celle de P ユini. Il est certain que le sanskrit était encore une langue parlée et vivante à l’époque de Patañjali. Il cite quelques formes dialectales, décrit l’aire géographique et la classe sociale qui donnent le ton du bon usage. Les citations littéraires sont très nombreuses, non toujours identifiables, une bonne partie de ce que Patañjali connaissait n’ayant pas survécu jusqu’à nos jours. Les allusions religieuses sont fréquentes: le rituel védique apparaît comme une préoccupation majeure de l’auteur; mais on voit apparaître aussi les cultes de えiva et surtout de Vi ルユu, particulièrement dans l’incarnation de K リルユa, qui domineront par la suite toute la vie religieuse. On trouve des informations sur des coutumes, des divertissements, le théâtre, peut-être le jeu d’échecs, etc.

L’influence du Mah size=5bh size=5 size=5ルya

Le style du Mah bh ルya a, en tous temps, été l’objet d’une admiration unanime. Derrière une simplicité de surface, il y a une grande subtilité qui répond à la finesse de la pensée. Le Mah bh ルya apparaît très lucide mais est en réalité difficile. Œuvre dure qui séduit irrésistiblement, attire à elle et résiste à la compréhension, elle est une des plus aimées et des plus redoutées dans la littérature sanskrite.

On en connaît près de quarante commentaires. Le plus ancien qui ait survécu, partiellement, est celui de Bhart リhari (Ve siècle apr. J.-C.), le nom le plus important dans l’histoire de la pensée linguistique en Inde après Patañjali. Un des derniers, celui de N ge ごa (début du XVIIIe siècle) est une œuvre d’une remarquable intelligence. Les lettrés indiens d’esprit traditionnel ont toujours cultivé les exercices intellectuels, prouesses de mémorisation, de raisonnement, de fixation de l’esprit sur des longues combinaisons, maniement de multiples abstractions, etc. Le Mah bh ルya a été pour eux le premier modèle. En ce sens, son influence, au cours de toute l’histoire, déborde largement le domaine de la grammaire et se sent dans toutes les disciplines philosophiques.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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